lundi 4 juin 2007

La tragédie des nécro-carburants

Campagnes d'intoxication

Par
Dominique Guillet 24 mars 2007

Au Salon de l'Agriculture 2007, une partie du hall 2 s'était transformée en salon de l'automobile ! Ils étaient tous là, Peugeot, Ford, Renault, etc. Avec des grosses planètes qui pendaient du plafond et des petites fleurs peintes sur les portières des voitures. Émouvant : ils clament haut et fort qu'ils vont sauver la planète avec l'éthanol et les huiles de colza !

Les grands slogans sont lancés : biodiesels, biocarburants, or vert, carburants verts, "le carburant qui voit la vie en vert"... L'édition spéciale Ford des Cahiers de l'Automobile titre "Bio-Carburants", Bio faisant 7 cm de hauteur et carburants faisant 1,5 cm de hauteur : les grands pièges de la sémantique pour endormir le peuple. Le même magazine en page 7 titre "le bio en 40 questions". Quel "bio" ? Est ce une nouvelle abréviation pour "biocarburant" ? Plus l'intoxication est grosse, mieux elle passe ! Pourquoi se gêner ?

Les 40 questions susdites concernent les agro-carburants et nous apprenons que l'éthanol ne se boit pas (aucun risque d'accroître l'alcoolisme dans ce pays !), que l'utilisation des pesticides baisse depuis 10 ans (témoin l'accélération du nombre de cancers!) et que la baguette de pain ne va pas augmenter ! Il est vrai que si la baguette augmentait de 100 % comme la tortilla au Mexique, les Français tortilleraient du nez. Il ne faut mieux pas toucher à la baguette !

Nous apprenons également que les carburants végétaux n'ont pas été développés plus tôt parce que "le contexte économique, politique, énergétique n'était pas jusqu'ici favorable". En clair, parce que les pétroliers ne l'avaient pas encore décidé !

Mais le contexte politique a évolué. Un candidat présidentiable propose même en France une "pastille bleue", bleue comme la Terre (vue de très haut, sinon, c'est moins bleu !) pour favoriser les véhicules au "biocarburant" avec une petite ristourne au péage et des stationnements gratuits. C'est bien mignon, tout cela !

L'attribution du terme "bio" pour les nécro-carburants gagne en tout cas du terrain rapidement. Cela nous rappelle le syndrome des yoghourts de chez Danone. On trouve sur Internet des publicités pour Volvo "Volvo fera du sport bio" ou pour Ford "Ford et Europcar roulent pour le bio !" ou pour Saab "300 chevaux écologiques". Certaines voitures roulant au carburant végétal ont même la mention "bio" peinte sur la carrosserie.

C'est le coup de grâce pour l'agriculture bio, d'autant plus que la pression des lobbies à Bruxelles cherche à imposer une agriculture bio de "seconde génération" avec une pincée de pesticides par-ci et une demi pincée de chimères génétiques par-là! Les cahiers de charge de l'agro-bio sont en passe de devenir des cahiers de décharge! Pinçons-nous le nez.

L'industrie de l'automobile s'auréole, ad nauseam, d'une surenchère de slogans verdoyants. Saab vante une de ses voitures avec le logo suivant "Les forces de la nature auront toujours besoin de s'exprimer. Libérons-les." Koenigsegg présente une voiture comme "sa fleur à la tige puissante". Les rallyes deviennent "bios"."écolos". Les voitures deviennent "propres". C'est la "passion verte". Etc.
Inversion des valeurs. Perte de sens. Double langage. Dérives sémantiques. Les voitures et les pneu.

Et si on proposait un moratoire sur les carburants végétaux !

Les carburants végétaux ne sont pas bios : ils sont issus de plantes cultivées avec toute l'artillerie lourde des intrants de l'agrochimie et des pesticides. Les termes "biodiesel", "bioéthanol" et "biocarburants" sont passés en un temps record dans le langage commun, suite à un énorme matraquage publicitaire et médiatique. Ces carburants végétaux sont obtenus grâce à des processus d'extraction industrielle très complexes. Le terme "bio" signifie "vie". On voit difficilement ce qui permettrait à ces carburants végétaux de mériter le préfixe bio. Parle-t-on de bioblé, ou de biotomate ou de biomaïs ?

Nous sommes là au coeur d'une gigantesque arnaque sémantique. C'est bien plutôt de "nécrocarburants», de "nécroéthanol" et de "nécrodiesel" qu'il faudrait parler. Nécro signifie mort et ce préfixe seul peut qualifier les aspects techniques, écologiques et humains de cette sinistre farce.

Les carburants végétaux ne sont pas verts, ils seraient même plutôt rouges, de la couleur du sang. Ils vont accroître l'immense tragédie de la sous-nutrition, de la mort de faim, de la misère sociale, du déplacement des populations, de la déforestation, de l'érosion des sols, de la désertification, de la pénurie en eau, etc.

Les grands groupes pétroliers qui se sont alliés aux grands groupes de l'agro-alimentaire et aux grands groupes de l'agrochimie et aux grands groupes semenciers pour lancer cette farce grotesque tentent de tranquilliser le citoyen en prétendant que les carburants végétaux ne représentent aucune "concurrence pour les filières alimentaires".

Dans la série "tchou-tchou" soporifique, l'Aficar (Agence française d'informations et de communication agricole et rurale) a lancé en février 2007 le "Train de la terre" avec l'incontournable wagon sur les carburants verts. L'Aficar doit "promouvoir une image positive, dynamique et innovante de l’agriculture" selon le ministre Bussereau et elle doit rassurer les citoyens sur la qualité des produits agricoles. Ce qui n'est pas une tâche aisée, surtout lorsque le dit citoyen découvre l'ouvrage passionnant de NICOLINO et de VEILLERETTE : "Pesticides : révélations sur un scandale français".

Quels seront les courageux journalistes qui vont se lancer dans la rédaction d'un ouvrage "Carburants végétaux : révélations sur un scandale mondial" ?

Désertification et Érosion
Pas de "concurrence pour les filières alimentaires". Et pourtant, savez-vous :
- que l'année 2006 fut déclarée par l'ONU "Année Internationale des Déserts et de la Désertification".
- que les activités agricoles génèrent une érosion telle que, chaque seconde, ce sont 2420 tonnes de sol qui partent dans les océans ou dans les vents.
- que chaque heure de la journée, ce sont 1370 ha de terres qui sont désertifiées à jamais.
- que 36 000 personnes meurent de faim tous les jours.
- que, selon la FAO, la surface moyenne de terre arable par habitant était de 0,32 ha en 1961/1963 (pour une population mondiale de 3,2 milliards), de 0,21 ha en 1997/1999 (pour une population mondiale de 6 milliards) et sera de 0,16 ha en 2030 (pour une population mondiale estimée à 8,3 milliards).
- que, selon certains experts indépendants, les projections ci-dessus sont hautement optimistes car la surface moyenne de terre arable par habitant dans les pays pauvres sera seulement de 0,09 hectare en 2014.
- que ces mêmes experts n'ont pas pris en considération, pour leurs calculs, le boom des agro-carburants et les bouleversements climatiques.
- que, selon la FAO, l'Inde perd chaque années 2,5 millions d'hectares de terres et qu'à ce rythme là, il ne restera plus un gramme de terre arable dans ce pays en 2050.
- qu'au cours des 20 dernières années, environ 300 millions d'hectares (six fois la surface de la France) de forêt tropicales, ont été détruits pour implanter des domaines fermiers et des pâturages ou des plantations à grande échelle d'huile de palme, de caoutchouc, de soja, de canne à sucre et autres récoltes.
- que, dans l'Iowa, le coeur de l'empire transgénique du maïs et du soja, les églises dans les zones rurales surplombent les champs d'1m50 parce que l'Iowa a perdu 1m50 de sol fertile en un peu plus d'un siècle.

Bilan négatif de l'éthanol

C'est d'ailleurs dans l'Iowa (à Goldfield et Nevada), en allant filmer des usines de production d'éthanol, que nous avons pu obtenir des chiffres précis quant au bilan énergétique de ce carburant végétal.
Voyez avec nous le désastre. L'usine de Goldfield transforme tous les ans 450 000 tonnes de maïs (pour produire 190 millions de litres d'éthanol) mais, pour ce faire, elle brûle tous les jours 300 tonnes de charbon (qui arrivent par camion de bien loin) et elle relâche benoîtement du CO2 dans l'atmosphère. Cela fait tousser les écologistes! Surtout avec 200 centrales de ce type qui se profilent à l'horizon aux USA. Le charbon, c'est pas très propre mais le gaz est tellement cher: alors certains envisagent de faire tourner les centrales d'éthanol au bois. Quitte à ce que les forêts des USA brûlent de sécheresse, autant les faire brûler dans les usines d'éthanol. Le problème restant que les forêts qui brûlent sont souvent situées à des milliers de kilomètres.
Tentons d'esquisser un bilan (provisoire) de la centrale de Goldfield dans l'Iowa.
Pour produire 1 litre d'éthanol, il faut transformer 2,37 kilos de maïs, brûler 500 grammes de charbon et utiliser 4 litres d'eau.

Le Professeur Pimentel, de l'Université de Cornell (Ithaca, New-York) a prouvé déjà, depuis de nombreuses années, que le bilan énergétique basique de la production d'éthanol est complètement négatif car la production de maïs a un coût réel (intrants, pesticides, travail) sans parler de l'amortissement du matériel agricole qui n'est jamais pris en compte car le bilan serait par trop indécent. Bref, selon le Professeur PIMENTEL, le carburant végétal réchauffe davantage la planète que l’essence !

La suite : http://www.kokopelli.asso.fr/articles/necro-carburants.html

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